Apocalypse Beach, roman

par Tanguy Lambert | Sommaire

Jungle Check-in, 1992

Malaisia. Non mais j’te jure, ça c’est bien un truc de fille, toujours vouloir aller dans un bled où on a rien à y faire… T’as voulu voir Bali et on a vu Bali… J’ai voulu voir Timor et on a vu Bali, bon d’accord la vague est belle donc ça ira pour cette fois… la prochaine fût la dernière, hélas!. Huit jour à poireauter donc, avant de raccompagner l’amoureuse à l’aéroport de Kuala, autant prendre l’air, parce que moi à Kuala Lumpur, KL pour les branchés, à part aller déjeuner au Coliseum Café avec serveurs en blanc, franchement je vois pas bien l’intérêt de cette ville… à la rigueur le Hard Rock Cafe pour le t-shirt, mais pas plus… Kuala Lumpur veut dire confluent vaseux, voilà ! c’est ça ! c’est le bon terme, un confluent vaseux en humidité équatoriale permanente…

Tioman est une petite île à douze kilomètre de la côte est malaisienne, vingt kilomètres sur dix, 99% de jungle… et un aéroport ! Une île de pirates malais qui contrôlaient le détroit de Malacca et aimaient bien taper les Jésuites en route pour la Chine. Le film South Pacific y a été tourné en 1958, comédie musicale sous les cocotiers: une infirmière de l’US Army, tombe amoureuse d’un planteur français, avec espionnage entre les les lignes japonaises, et enfants cachés polynésiens…n’importe quoi…

On était donc paisible dans un petit resort paumé au bout de la plage avec une famille adorable, mais, je voulais rentrer sur Kuala par avion, l’arrivée en bateau fût un cauchemar, le truc de bricolo à fond plat immobilisé pendant une heure en pleine mer, attendant la marée et qu’une barre se calme, j’appelle pas ça un bateau mais une barge de débarquement d’occasion, le Dégueuloir Express, jamais eu un tel mal de mer de ma vie, putain de bordel de merde de la rue de Siam, le truc où tu supplies le Seigneur miséricorde de pouvoir vomir le plus rapidement possible, please, pour enfin tomber en syncope et en finir une fois pour toute même si c’est d’asphyxie dans ton vomi. T’es plus blanc que blanc.
Direction donc l’aéroport pour acheter les billets, mais y’a pas de route, juste une piste à travers la jungle équatoriale et deux heures de marche… c’est le premier treck de la Niniata, lol, on est ensemble depuis deux mois seulement… vous savez, l’auteur de ma phrase culte « c’est pas tout de dire aux copines qu’on sort avec Rahan, faut encore aller dormir dans la grotte », je me m’en lasse pas, c’est d’une fraîcheur inaltérable… mieux qu’une liqueur de poire oubliée.

Donc c’est parti pour un tour de manège, la délicate styliste de mode et d’avenir, en sneakers immaculés, est dans la jungle avec taëngo pour la première fois, ciel ! c’est chaud, c’est la vraie jungle, ça grouille dans tous les sens, ça hurle, ça paille, des macaques partout dans les arbres avec les papillons bleus, et un vrai délire: la piste est bloquée en permanence par des varans, un embouteillage de périph, pas aussi gros qu’à Komodo, mais enfin quand même pas avenant du tout, tu peux pas passer, faut fabriquer des bâtons et leur balancer des pierres pour dégager la route… à part les monstres c’est un treck facile, pas trop de dénivelé, la piste est large, et au milieu du parcours tu tombes sur un cadeau, une magnifique plage en trois-quart de cercle parfait, entourée de jungle qui plonge sur la mer, et la mangrove primaire est encore là intacte, rarissime, jamais vu une aussi pure plage vierge…

Le vol retour est génial, du Bob Morane en mieux, l’avion est petit, non caréné, on voit la tôle et les rivets, le jeune pilote est un hollandais joyeux en chemisette blanche et casquette règlementaire, aussi hilare que l’hôtesse de l’air malaise qui sert aussi de co-pilote, à mon avis ces deux là avaient trouvé le job de rêve et pas que… au check-in en bout de piste entre la mer et la jungle, la clim emplit le couloir central d’un magnifique nuage blanc épais d’un mètre de haut, pendant qu’on picole déjà le vin blanc frais, c’est féérique… et les choses sérieuses commencent, c’est pas une piste du tout leur truc, ça ressemble plus à une catapulte face à la montagne, non sans déconner, ils vont pas oser décoller quand même ! Mais si, ça passe tranquille en une glissade sur l’aile à gauche tout en bout de piste tu survoles le lagon turquoise, sauvé… bravo champion !

…tout le monde a bien eu son shoot d’adrénaline, ça c’est fait, on peut défaire les ceintures et passer aux alcools forts, aux boissons d’homme faut avouer… la porte du cockpit reste ouverte, t’as l’impression que le pilote est ton copain du bar qui te ramène chez toi en discutant parce que t’es trop bourré pour conduire, pendant que ta meilleure amie aux yeux noirs t’apporte les petits-fours avec le sourire… vingt deux passagers et deux membres d’équipage mdr pendant une heure !

Le plus beau vol, la plus belle plage, la plus jolie des amoureuses… des fois le Seigneur est généreux…

L’aéroport exploité par Berjaya-Air a été définitivement fermé en 2014: trop de crashs. Tu m’étonnes ! Jungle circus…