Apocalypse Beach, roman

par Tanguy Lambert | Sommaire

Le parrain Yakuza

Le mac en costard écossais gris clair me fait les bras en croix: « dammé » (c’est interdit) et se dirige vers sa Ford Mustang blanche… et toi t’es planté là à Yatsushiro, tout au sud du Japon, fier comme un titi de Belleville, tu vas pas te laisser impressionner par le premier yakuza de passage, j’ai répété la scène vingt fois, la question est prête: « Hano, kawari, ikura deska ?» (c’est combien la place ici?)…

…surtout de pas oublier les accents toniques, histoire de montrer au julot bien sapé, que parler le nihongo est une formalité, qu’on est entre gens de bonne compagnie, et qu’on peux donc enfin parler de business et de choses sérieuses… Bingo, il se retourne, me donne une carte de visite, me dit de téléphoner demain, et disparait dans son bolide. C’est bon, ça va le faire, j’ai la connexion.

Le lendemain matin, j’attends en centre ville, un magnum de saké acheté à l’uniqlo du coin, c’est l’hiver japonais: très froid, grand soleil lumineux, et c’est parti… deux armoire à glaces d’au moins 100 kg m’embarquent dans un petit coupé sport, dès la sortie de la ville c’est accélérateur au plancher, sauf que, putain de mille sabords de Brest on est au Japon, y’a que des rizières au carré, y’a pas de ligne droite, nada, au premier virage à 90 degrés pris en dérapage total, je suis bleu indigo de peur, je suis plus là… les mecs ont l’habitude de s’arracher du braquos, y’a pas photo, des pros surentraînés, c’est Fast and Furious dans l’Archipel, Van Diesel va débouler en débardeur blanc… je ne sais pas où ils m’emmènent, ça fait tout d’un coup moins le malin qu’un marin rue de Siam un jour de pétole…

Je me demande si on peut choisir quel doigt sacrifier, si les dragons déjà tatoués sur mes deux épaules m’épargneront peut être le pire, je redoute les supplices japonais, on peut rêver, de toute façon t’as plus que ça, c’est ton dernier jour, tu es dans l’œil du dragon… et c’est bien fait pour toi, t’aurais du écouter ta mère et passer le concours de chef de district à la sncf, ça t’aurais évité un merdier pareil au bout du monde, tu vas finir croupier à Macao, au mieux.

Ouf, on arrive vivant et entier devant une jolie clinique blanche paumée au milieu du vert fluo des rizières, t’as plus d’adrénaline, y’en a plus une goutte, t’as vidé le stock d’un seul coup, ma dernière heure peut attendre un peu, merci Seigneur, la révolution aussi d’ailleurs (hors sujet, mais j’aime bien la placer), le chef yakuza est alité, de chaque côté du lit: deux autres colosses impassibles l’air pas commode du tout, tu prendrais pas le risque de leur demander du feu, tu demandes la permission avant de toucher une poche. Y’a du stock de tueurs intraitables planqués dans les rizières, je peux en témoigner.

C’est le moment des inclinaisons o-jigi, dos droit penché à 30 degré, plus c’est pour l’Empereur, et du cadeau rituel, puis je me lance, l’Esprit Saint doit être bienveillant avec moi ce jour là, je fais le grand oral et je lui parle de Paris, des fois ça aide de parler japonais, ça augmente un peu l’espérance de vie, tu peux encore y croire, et tu balances tapis, je lui demande l’autorisation de vendre sur son territoire. Le chef est souriant, très amusé de mon culot, la conversation est facile, je me dis continue comme ça, dans une heure il va t’offrir sa fille, tu vas pouvoir ouvrir un resto français en plein milieu de la sakariba… et dans un grand sourire il m’annonce que c’est bon, je peux rester sans avoir à lui payer la place. Gratis!!!!!!! Wakaranaï yo.

On peut tout faire dans la vie avec la confiance en soi, y compris négocier avec un parrain Yakuza et remporter la mise

Le salaire de la peur

Babioles à Varanassi