Apocalypse Beach, roman

par Tanguy Lambert | Sommaire

La Royale, Brest, 1971

On ne choisi pas son affectation. Dès le choix du prénom, j’étais programmé pour finir en guerrier, le destin de la France éternelle était en jeu, la fille ainée de l’Eglise attendait ma testostérone. Born to Kill. Tout petit déjà on me trimbalait de défilés militaires en prise d’armes avec clairon quelconque, j’avais beau faire ma tête de mule de breton buté, et je sais très bien le faire, si si, j’étais toujours de corvée milii, le pire étant les salutations rituelles à la Jeanne-d’Arc partant autour du monde, maman sur son trente-et-un prenait un air extasié, voire illuminée saint-marie-mère-de-dieu, et versait une larme en reconnaissant vaguement au loin une silhouette grise voguer vers le Goulet…

… spectacle absolument sans intérêt quand ta priorité est d’être le cador aux osselets, discipline exigeante qui cloue son bec aux visages pâles freluquets et aux mangeurs de bonbons grassouillets… Maman s’était réfugiée à Brest avec la smala dans un him en bordure de cimetière pendant que papa ratissait à Sétif en prenant du galon… il apparaissait furtivement une fois par semestre accompagné d’une énorme boîte de dattes fourrées multicolores…

…au ciné tout pareil, Le jour le plus long était appris par cœur et il fallait attendre plus de maturité pour oser visionner La 317ème section, Le Sous-Lieutenant Perrin devenant le Christ vénéré de la famille pour le sacrifice de sa vie : s’exploser à la grenade défensive coincé sous le ventre, et éviter la peur de nuit quand les grands fauves s’approchent des soldats blessés intransportables… pendant que les quarante laotiens guidés par le malgré-lui Bruno Cremer poursuivent jusqu’à Dien Bien Phu, la piste des fuites…

…et donc en CM2 tu savais déjà comment décrocher sous le feu ennemi en terrain découvert, où placer une 12,7 en embuscade serrée ou laminer au couteau les sangles de ton parachute américain… tu pouvais passer à la suite du soutien scolaire paternel: reconnaitre les silhouettes des chars russe, du T34 surblindé au T-55 et son canon de 100 … et en sixième c’est équitation obligatoire avec le Cadre Noir, t’es tout minot mais l’Ecuyer te terrorise avec des engueulades d’enfer en t’appelant Monsieur… élevé au grand air et aux céréales, au lait grenadine et aux chocos BN, programmé comme un avatar, fin prêt pour être un hussard chargeant à Reichshoffen… et en plus j’avais lu tout Bob Morane, polytechnicien et pilote de Spitfire…

… en seconde la question de l’orientation elle fut vite répondu, direction le Collège Naval de Brest, alors en garnison de blindés à Verdun (c’est gai là-bas tu peux même pas imaginer) papa et maman avaient enfin réussi à me caser quelque part: en pension militaire… de préférence à l’autre bout de la France, na, bien fait pour toi, va faire tes conneries dehors ! bienvenue dans la Royale, un lycée presque à l’anglaise, cravate et uniformes dans un immense parc surplombant la rade de Brest avec club de voile et Flying Dutchman vitrifié à disposition, so chic…

…discipline resserrée et formation d’homme, cours de piscine avec les nageurs de combats surentraînés, t’imagine le training c’est pas triste, les cours de math étant suivis de trigonométrie des sonars, les études encadrées par les meilleurs de Normale Sup en service national, du genre que tu peux pas rater ton bac, c’est pas possible, au pire t’as mention bien au rattrapage, et t’enchaîne direct en option aéronavale tant qu’à faire comme Bob (Morane, pas Marley), histoire que maman ait cette fois ci une vraie raison de pleurer sur les ruines de l’abbaye St-Matthieu en voyant la Jeanne et son fils chéri filer vers les Indes…

… mais bon, fallait bien que je me fasse remarquer avec les filles, ma grande spécialité étant de faire le mur pour les booms du samedi soir ! Je dis bien faire le mur en vrai, le Collège étant gardé par des matelots à pompon rouge et pistolet mitrailleur noir, il fallait franchir le mur d’enceinte de nuit, sinon t’étais gaulé grave, déjà le frisson de la grande évasion, restait plus qu’à rejoindre Brest même et danser le plus de slows possible avec toutes ces merveilles à marier, la mystérieuse Alix restait ma préférée, une rebelle aux yeux de folie…

…un dernier baiser à quatre heure rue de Siam (y’a pas Barbara hein! c’est des conneries ! et il pleut pas à Brest, jamais, des fois ça mouille c’est tout) puis tout retraverser de nuit, c’est loin, mais la vie est bien faite et le Seigneur bon et généreux, à cette heure là tu peux descendre vers l’arsenal à la cantine des dockers… comment dire c’est pas tout à fait un bistrot populaire ordinaire, le café au lait est servi uniquement par bollée bretonne, une panière au milieu des tables communes déborde de croissants et de tartines, tu prends ce que tu veux, c’est le même prix, cool… mon paradis des afters de fêtes, le bar des dockers de l’arsenal à 5 heures du matin, ça cause des cargos de nuit, de quais humides et de vapeurs acides, tatoue mon âme à mon dégout… Bref le genre de rade ou t’es sur de ne jamais croiser Benoît Hamon…

J’ai finalement préféré Moitessier à Tabarly…et j’ai renoncé à la Royale, franchement beatnik c’est mieux, pardon maman