Apocalypse Beach, roman

par Tanguy Lambert | Sommaire

Cobra Royal

Ngou Djong! Gnou Djong Na! – les hurlements des mamas réveillent la cocoteraie, c’est comme l’alerte incendie de nos premier mercredi du mois, c’est la mobilisation générale, chacun accourt aussitôt l’œil vif et le muscle saillant, machette ou fusil à la main, on sort les lances, les longs bambous munis de crochets, les filets de pêche servent de rétiaire de gladiateur, les chiens aboient mais se planquent à l’arrière en tremblant, les mères mettent en sécurité les nourrissons car le Cobra Royal dressé à plus d’un mètre fait peur, nerveux mais pas trouillard, la bête te défie du regard et du souffle, prête à attaquer à la vitesse d’un exocet surentraîné, et quand elle lance son raid tu n’as plus que ton sarong pour l’aveugler et éviter la morsure, son venin est une neurotoxine qui paralyse… imparable, tu ne peux plus respirer et tu étouffes à petit feu… 150€ l’anti-dote, la clinique est à trois heures de route…

…les chasseurs agités cernent le monstre pour l’empêcher de fuir, les palmes mortes des cocotiers sont enflammés lui barrant le chemin de retour vers la jungle, puis les coups pleuvent par derrière quand on se sait hors d’atteinte, l’animal vibre, ondule et crache, mais à chaque esquive c’est dix banderilles qui viennent lui percer la peau, et le Ngou Djong Na épuisé, rendu fou, troué de toute part, pose les armes et sa tête sur le sable comme le taureau pressé d’en finir, c’est l’heure de l’hallali et du coup fatal de machette délivré par le chef sous les cris de victoire… la tête est tranchée, la bête immonde n’est plus…

…quand ils ramènent le trophée du massacre qu’il faut rituellement bruler en place publique, c’est la joie et la fête, champion du monde, les petits trop curieux sont surexcités, les mamans sortent les bouteilles d’alcool de riz de leurs planques, les moins vieux ramènent les bangs à ganja, il s’agit de fêter la victoire avec excès mais dignité… tous les rendez-vous sont annulés jusqu’à tard dans la nuit, l’école buissonnière est obligatoire…

… et moment du sunset, à l’heure où le voisin se charge de l’approvisionnement en bière très fraîche, il ramène aussi son coq, les ergots sont soigneusement bandés, pas question qu’ils se blessent, les coqs c’est trop d’amour, c’est précieux… et on improvisera un combat d’anthologie entre basse-cours voisines jusqu’à l’ivresse finale qui unit la tribu des chasseurs cueilleurs…

La première fois que j’ai nagé dans le lagon à côté d’un serpent, la décharge d’adrénaline fut, j’avoue, un flash foudroyant… et puis je me suis habitué, la crainte a remplacé la peur, j’avais même de l’affection pour les couleuvres vert fluo qui par maladresse tombent parfois des cocotiers pour atterrir sur la plage, si c’est juste entre deux jeunes filles en bikini et trois beach boys c’est plus drôle bien sur. Avec un bambou souple tu lui indiques avec douceur le chemin de la montagne, elle comprend très bien qu’il ne faut pas revenir dans le coin, et s’enfuit en murmurant des excuses pour le dérangement… finalement elles sont mignonnes.

Le python c’est autre chose, l’animal s’approche peu des habitations restant en zone humide dans la montagne, c’est le roi de la jungle, avec ses quatre mètres de long, il ne peut rien lui arriver et il le sait, il est intouchable, quand il te croise tu t’arrêtes hein!, t’es pas là pour lui marcher sur la queue et faire le malin style – wallah mon frère casse toi – tu bouges plus, tu l’admires, il continue son chemin comme si de rien n’était sans te quitter du regard, son élégance est impressionnante, c’est le king du quartier, respect, t’es trop beau et paisible… et la tribu ne te chasse pas mais te respecte… tu ne finiras pas sur le bûcher avec les sorcières…

NDRL: j’avais fini par trouver le spécialiste des peaux de pythons teintes au marché du cuir de Bangkok, près de Chinatown, j’en ai fait des étuis à éventail de tai chi. 350 000 peaux de python réticulé sont exportées chaque année de la Thaïlande, des serpents d’élevage mais pas que, vers l’industrie du luxe européen, il serait bon de se calmer un peu, c’est un animal magnifique, paisible, peu dangereux pour l’homme et à protéger